Si l’égalité entre les filles et les garçons est un principe fondamental garanti dans le code de l’éducation et ce, dès l’école primaire, il n’en demeure pas moins que « chausser les lunettes de genre », c’est adopter une grille de lecture qui permet de décoder la réalité des rapports sociaux entre les filles et les garçons, d’appréhender l’organisation binaire et hiérarchisée du monde, d’en saisir les mécanismes qui s’y rattachent, même encore aujourd’hui au sein de l’école.

  1. Croyances et stéréotypes

L’utilisation de concept de genre permet de « rompre avec la pensée naturaliste qui assigne les femmes et les hommes à des rôles sociaux spécifiques en raison de leurs prétendues caractéristiques biologiques et reproductives » ( Lépinard et Lieber 2020).  Regarder l’enseignement des mathématiques par le biais de l’égalité de genre revient d’abord à analyser la robustesse de certains stéréotypes fondés sur de vieilles croyances.

  1. Les maths, des aptitudes naturelles ?

Depuis plusieurs décennies, les recherches sur le fonctionnement cérébral et notamment la plasticité cérébrale ont permis de démontrer que les filles et les garçons ont les mêmes aptitudes cérébrales concernant les fonctions cognitives telles que l’intelligence, la mémoire, l’attention et le raisonnement. (Catherine Vidal, Le cerveau a-t-il un sexe ?)

Après la naissance, la fabrication du cerveau se poursuit : les connexions entre les neurones – les synapses – commencent à peine à se former. La majorité des milliards des circuits de neurones du cerveau humain se fabriquent à partir du moment où le bébé commence à interagir avec le monde extérieur. Cette multitude de connexions va être façonnée et va évoluer chez l’enfant et chez l’adulte, de manière différente d’un individu à l’autre en fonction de facteurs environnementaux, notamment de notre histoire, de nos expériences et de la société.

Par ailleurs, si l’expression « la bosse des maths » demeure, l’imagerie cérébrale  a démontré que les mathématiques sollicitaient plusieurs faisceaux de neurones, dans différentes zones du cerveau, balayant l’idée d’un don physique pour les mathématiques.(A. Colonat 2021)

b) La menace du stéréotype

Le concept de menace du stéréotype représente l’effet psychologique qu’un stéréotype / un préjugé peut avoir sur une personne appartenant à un groupe visé.

On distingue deux effets possibles :

  • L’effet Pygmalion est une prophétie-autoréalisatrice, selon laquelle le jugement porté par une personne ou par soi-même influence et conditionne notre comportement.
  • L’effet Golem est l’inverse de l’effet Pygmalion, son pendant négatif. Il se définit par des attentes peu élevées sur un individu qui conduisent insidieusement à des performances moindres de sa part.

Selon Steele et Aronson (1995), psycho-sociologues à l’Université de Stanford, les personnes stigmatisées par des stéréotypes dévalorisants peuvent, en situation d’évaluation, subir la « menace du stéréotype » : à cause de la crainte d’alimenter le stéréotype, les performances sont affectées. C’est le stéréotype lui-même, la projection qu’on fait de lui dans la situation, qui a un effet direct sur ces performances.

Schéma du processus de « menace du stéréotype » réalisé par Isabelle Régner 2007

D’autres études portent sur les effets des « biais de genre », l’influence des stéréotypes sur les individus porteurs. Porteur ne veut pas dire qu’on est d’accord avec les stéréotypes mais cela veut dire qu’ils sont stockés dans la mémoire de l’individu porteur. On en connait l’existence. Le fait de connaitre ce stéréotype va avoir possiblement des effets sur nos jugements et nos décisions.

Les stéréotypes peuvent ainsi influencer les décisions des évaluateurs en les amenant à évaluer différemment des résultats pourtant identiques, en fonction de leur genre ou d’autres caractéristiques : on appelle cela l’effet de halo.

2. Le rôle de l’école

C’est indéniable. L’école et l’enseignant.e dans sa classe se veut avoir des pratiques égalitaires. Mais, « qu’ il le veuille ou non, le genre, entendu comme système de normes et de rôles de sexe hiérarchisés, est présent dans les situations scolaires. Il s’agit donc d’apprendre à en tenir compte pour construire l’égalité ou des formes d’égalité » (Ankaldrissi, Gallot et Pasquier, 2019).

Nicole Mosconi et Marie Duru-Bellat ( 2001) ont toutes deux montré que les différences de performance entre les filles et les garçons en mathématiques ne pouvaient s’expliquer sans prendre en compte ce qui se passait dans les classes, et notamment la façon dont les enseignants y faisaient vivre les mathématiques.

  1. Questionner l’habillage de la tâche

L’expérience ci-dessous montre à quel point il est intéressant de jouer sur la diagnosticité de la tâche (géométrie ou dessin / exercice ou test / accent mis sur le caractère évaluatif ou pas).   

b) S’interroger sur les buts de performance/ les buts de maîtrise

Pour favoriser l’égalité de genre, il convient de mettre en avant une conception malléable de l’intelligence : elle se développe, elle se construit. A ce titre, il faut mettre l’accent sur l’amélioration, le travail plutôt que sur la performance, d’autant que la menace de stéréotype joue aussi sur les garçons qui peuvent se croire plus performants que ce qu’ils ne sont réellement (N. Sayac).

Il s’agit donc au sein de la classe de proposer des dispositifs qui favorisent davantage la maitrise que la performance.

  • On appelle but de maîtrise tout ce qui correspond au désir d’apprendre, de comprendre le problème, d’acquérir de nouvelles connaissances. Il est lié à des contraintes de temps raisonnables et privilégie la qualité à la quantité d’exercices traités.
  • Le but de performance repose, quant à lui sur le besoin de situer ses compétences en rapport avec celles des autres et correspond donc au désir de se montrer meilleur que les autres. Il est souvent lié à une contrainte de temps forte et à la capacité de tout traiter en un temps court.

Il est donc intéressant d’encourager l’auto-affirmation : amener les élèves à se focaliser sur leurs points forts, leurs qualités, leurs valeurs. Cette stratégie d’auto-affirmation compenserait l’inconfort psychologique créé par la situation stressante en lien avec le stéréotype (Huguet et Régner 2011).

Pour aller plus loin, un dossier de veille et de ressources élaboré par des formatrices du Rhône en collaboration avec l’IREM de Lyon  ici.