Les enfants doivent-ils compter sur leurs doigts ? Compter sur ses doigts ou compter trop longtemps sur ses doigts pourrait être le signe de difficultés en mathématiques ? Ces questions qui tourmentent les praticiens, les enseignants et les éducateurs trouvent des réponses très contrastées au cours du temps et des pratiques éducatives et pédagogiques.

  1. L’utilisation des doigts en mathématiques : une question qui fait débat depuis longtemps

Ces vingt dernières années, la pratique n’était pas encouragée à l’école car une fausse croyance laissait sous-entendre que les enfants qui comptaient sur leurs doigts étaient moins compétents pour résoudre des opérations arithmétiques que les enfants qui utilisaient le calcul mental.

Des tensions existent même entre le point de vue de la neurocognition et le point de vue de la didactique des mathématiques sur l’utilisation des doigts. Ces deux disciplines convergent sur le rôle des doigts aux prémices de la construction du nombre mais divergent encore sur leur utilisation à long terme. En didactique des mathématiques, il est avancé la nécessité d’abandonner au plus tôt les stratégies basées sur les doigts dans le comptage et le calcul pour favoriser des représentations symboliques sur lesquelles le calcul va s’appuyer. Mais des études en neurocognition ont mis en évidence que l’usage des doigts apporte un bénéfice aux enfants comme aux adultes, indépendamment de leur niveau de maîtrise mathématique. (K. Moeller et al. « Effects of Finger Counting on Numerical Development – The Opposing Views of Neurocognition and Mathematics Education ». In : Frontiers in Psychology (2011))

Interrogeons-nous dès lors sur les avantages et bienfaits d’utiliser les doigts en mathématiques.

2. Pourquoi les utiliser ?

Le recours aux mains et aux doigts est aujourd’hui reconnu comme déterminant dans la construction des premières habiletés mathématiques chez l’enfant (Guedin, Thevenot et Fayol, 2018 ; Ollivier, Bonneton-Botté et Noël, 2019 ; Seron et Crollen, 2018). Pour Stella Baruk, « apprendre à compter avec ses doigts, c’est merveilleux. Pourquoi comptons-nous en base dix ? Parce que nous avons 10 doigts. Nous disposons donc d’un formidable outil pour fonder notre numération. Il faudrait choisir de nous en passer ? ».

Un premier constat de base soulève le fait que les doigts sont en effet accessibles immédiatement, qu’ils permettent de réaliser des correspondances un à un, et que leur utilisation permet de libérer la charge mentale en mémoire de travail puisque les quantités sont représentées physiquement. La perception immédiate de celles-ci est ainsi facilitée. Les doigts peuvent être aussi utilisés pour aider à l’apprentissage de certaines tables (https://keljeu.fr/trucs-et-astuces-pour-apprendre-les-multiplications/). lls permettraient au jeune enfant de représenter les quantités de façon analogique avant que les représentations symboliques ne soient disponibles et d’effectuer des calculs sur ces représentations. Ainsi, compter sur ses doigts pourrait être une stratégie de choix pour passer du concret à l’abstrait.

De plus, l’IRMf (l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) montre que les régions du cerveau associées avec le « sens du doigt » sont activées lorsque nous effectuons des tâches numériques, même si nous n’utilisons pas nos doigts pour nous aider à accomplir ces tâches. Et des études montrent que les jeunes enfants, avec une bonne dextérité des doigts, sont plus à l’aise dans l’exécution de tâches quantitatives.

Berteletti et Booth (2015) précisent que lorsque nous effectuons un calcul mental, nous visualisons nos doigts de façon plus ou moins consciente afin de nous aider à trouver le résultat. L’une des observations les plus marquantes montrant un lien fort entre doigts et nombres est celle de Poeck (1965) qui décrit une petite fille née sans avant-bras mais qui utilisait ses doigts fantômes pour compter et résoudre des problèmes.

Catherine Thevenot dans son étude récente « Le comptage sur les doigts pour la résolution
de problèmes arithmétiques : avancée des connaissances », conclut que le calcul sur les doigts est à considérer comme une excellente stratégie à partir de laquelle des stratégies plus matures et internalisées pourraient être élaborées.

3. L’utilisation des doigts dans les programmes

Depuis 2015, l’usage des doigts est mentionné dans les programmes. Dans le programme de cycle 1, au domaine « Acquérir les premiers outils mathématiques », il est mentionné : « Entre deux et quatre ans, stabiliser la connaissance des petits nombres (jusqu’à cinq) demande des activités nombreuses et variées portant sur la décomposition et recomposition des petites quantités […], la reconnaissance et l’observation des constellations du dé, la reconnaissance et l’expression d’une quantité avec les doigts de la main, la correspondance terme à terme avec une collection de cardinal connu.». De plus, le nouveau guide pour la construction du nombre au cycle 1 consacre un chapitre entier au comptage sur les doigts (pages 19 et 20). Il est redit que « l’utilisation des doigts pour compter et pour calculer apparaît être un outil efficace de résolution de petites opérations en maternelle. Lorsque l’enfant représente une collection d’objets sur ses doigts, il effectue un premier pas vers l’abstraction puisqu’il admet qu’une même quantité peut être représentée par différents moyens ».

On retrouve le rôle des doigts dans le programme en cycle 2, dans la partie « Nommer, écrire, représenter des nombres entiers » où il est spécifié : « Utiliser diverses représentations des nombres (écritures en chiffres et en lettres, noms à l’oral, graduations sur une demi-droite, constellations sur des dés, doigts de la main…). » Dans le guide «Pour enseigner les nombres, le calcul et la résolution de problème au CP », l’utilisation des doigts lors d’un décomptage est décrite, appuyant ainsi son intérêt. Cela dit, sur l’ensemble des documents institutionnels, l’apprentissage de l’utilisation des doigts lui-même n’est pas explicité.

4. Un enseignement explicite des doigts

Dans son article n°549 « soutenons l’utilisation des doigts en maths » (juillet, août, septembre 2023), l’APMEP (Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public) présente un dispositif d’enseignement explicite de l’utilisation des doigts dans le cadre d’activités mathématiques. Ce dispositif propose de mettre en œuvre des activités ritualisées de 10 à 15 min chaque jour sur une période de 12 semaines. Ces activités investissent le champ des habiletés manuelles (agilité, dextérité et coordination manuelle) et le champ de représentation et de la décomposition des nombres avec les doigts. Vous trouverez ci-dessous un tableau récapitulant la planification des séquences prévues ainsi qu’un poster rappelant les objectifs de ce travail.