Avec le développement du numérique et des terminaux mobiles, le jeu a envahi l’espace public. On peut jouer partout et tout le temps. L’importance du jeu dans le développement cognitif et socio-affectif des enfants fait l’objet de nombreuses recherches et les travaux de Piaget et Inhelder (1966) apparaissent comme fondateurs sur ce sujet.

Dans les programmes de maternelle, il est clairement inscrit que la pratique quotidienne des jeux d’exploration, symboliques, de construction et à règles, concoure au bon développement physiologique, neurologique, psycho-socio-affectif et cognitif de l’enfant. En outre, de nombreux ouvrages pédagogiques pour l’élémentaire encouragent les enseignants à proposer des situations d’apprentissage intégrant le jeu en tant que modalité pédagogique ou à convertir les situations d’apprentissage ordinaires en situations susceptibles d’être interprétées comme ludiques par les apprenants. [1]

  1. Définition du jeu en mathématiques

De façon générale, il est important de souligner que le jeu ne se définit pas nécessairement comme l’antonyme du travail, quand bien même il détient une part de hasard et de frivolité. Dans la Rome antique, ludus désigne à la fois le jeu en tant qu’activité libre et spontanée et le travail scolaire qui est une activité imposée et dirigée.

Freinet lui-même distinguait le jeu-travail, activité libre pouvant avoir des effets négatifs, du travail-jeu, plus productif.

Pour Eric Trouillot [2],  le jeu mathématiques est un jeu qui  doit utiliser des objets mathématiques, des nombres, des formes géométriques… Les situations initiales et finales doivent être clairement définies, afin de distinguer le jeu qui doit être renouvelable dans les mêmes conditions d’une activité mathématique classique. Enfin, les objets mathématiques manipulés doivent être utilisés ou transformés par des concepts mathématiques.

2. Différents types de jeux et apprentissage

  Le cadre d’utilisation du  serious gaming

Sur Eduscol, la notion de jeu sérieux (« serious game ») est définie par Alvarez, Djaouti et Rampnoux comme un dispositif, numérique ou non, « dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects utilitaires (« serious ») tels l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu, vidéoludique ou non (« game »).  Les « jeux sérieux » y sont recensés par discipline dans un catalogue dédié.

On s’intéresse dans ce cadre également au phénomène de ludification (« gamification ») qui consiste, à l’inverse du jeu sérieux, « à associer du jeu ou des mécaniques de jeu à des contextes ou objets qui en sont dépourvus à l’origine ». Les dispositifs tels que les « escape games » ou des jeux collaboratifs du type « Classcraft » peuvent s’y apparenter. Enfin, il existe une dernière dimension propre aux usages des jeux numériques pour l’apprentissage (JNA), pour reprendre l’expression privilégiée par Margarida Romero, à savoir la création de jeux numériques comme méthode d’apprentissage.

3. L’importance du « débriefing »

Ce n’est pas parce que l’élève joue qu’il apprend. Tout dépendrait des temps de « débriefing » qui aideraient à conscientiser les savoirs en jeu. Selon Sylvain Connac, « apprendre du jeu nécessite donc une prise de recul par rapport à la situation de jeu car on n’apprend pas en jouant mais en réfléchissant sur son expérience de jeu».

Le rôle de l’enseignant est particulièrement important lors de cette phase de travail cognitif sur les savoirs en jeu (Brousseau 1998 ; Margolinas 2014).

Le « débriefing » doit comprendre cinq dimensions [3] :

  • l’affectif : il est essentiel de faire un point sur le ressenti de l’expérience du jeu par les participants
  • l’explicitation des savoirs en jeu : faire prendre conscience aux élèves quels sont les apprentissages réalisés et les savoirs visés.
  • la désyncrétisation : il s’agit de montrer que les tâches mobilisent des savoirs spécifiques. Un travail sur les erreurs et les incompréhensions est également réalisé. Dans cette dimension, les savoirs sont décontextualisés du jeu, puis recontextualisés.
  • la validation : cette dimension permet de nommer les savoirs, de leur donner une définition, d’expliquer ce savoir d’un point de vue théorique, par le recours à des analogies, ainsi qu’en expliquant l’utilisation de ce savoir. Le savoir est légitimé et décontextualisé.
  • La généralisation : des liens sont établis entre les apprentissages réalisés dans le jeu et les apprentissages passés, voire futurs. L’enseignant amène les élèves à identifier d’autres situations, d’autres problèmes pour lesquels ces savoirs peuvent être utilisés, ainsi qu’à argumenter sur comment les utiliser.

Dans la perspective d’un retour nécessaire à faire sur le jeu, il est aussi intéressant de s’interroger sur la relation entre jeu et évaluation. Le jeu peut être utilisé pour l’évaluation diagnostique (faire le point sur l’état initial des connaissances), formative (réguler le processus d’apprentissage) et même sommative (certifier les apprentissages).

Considérer le jeu comme des dispositifs d’évaluation a d’ailleurs été défendu par Gee et Shaffer (2010).

A ce titre, la plateforme Learningapps.org , de plus en plus plébiscitée, permet aux enseignants de concevoir des jeux sous la forme de quizz, textes à trous, mots croisés,… et ainsi évaluer les élèves de manière sommative sur un sujet donné tout en gardant un aspect ludique.

De nombreux sites internet tels que clicmaclasse en cycle 2 proposent des petits jeux et activités avec un feedback direct pour les élèves sur leurs connaissances en début d’apprentissage (évaluation diagnostique) ou en cours (évaluation formative). L’erreur est ainsi dédramatisée par le contexte de jeu et l’élève a davantage conscience des apprentissages en jeu.

[1] « Apprendre en jouant » d’Eric Sanchez et Margarida Romero – aux éditions Retz

[2] https://www.apmep.fr/Eric-Trouillot

[3] Maud Plumettaz-Sieber, Catherine Bonnat et Eric Sanchez – 2019